Exposition Vladimir Veličković. L’œuvre au noir
Du 23 juin au 22 septembre 2018
Il faut le tenir pour ce qu’il est : une puissance muséale, et même le plus grand peintre serbe vivant ! Un homme né à Belgrade, en 1935, puis lancé très vite sur les routes du monde. Après une première exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris dès 1970, Vladimir Veličković représente, en 1972, son pays d’alors, la Yougoslavie, à la Biennale de Venise. Un peintre prodige, au dessin immédiatement reconnaissable sur n’importe quel continent, que l’on croirait signé au scalpel, vibrant, sanglant, étourdissant.
Œuvres exposées
Vladimir Veličković
Magnum opus
Faut-il redire ici ce qui fut cent fois écrit ? Redire que Vladimir Veličkoviċ a été très tôt admiré comme un dessinateur prodige dont les tableaux, aujourd’hui, sont accrochés dans cent musées, sur les cinq continents… Redire aussi qu’il a été élu membre de l’Institut, au fauteuil de Bernard Buffet, et qu’il y fait entendre, non sa propre voix, mais le cri des opprimés, le cri des suppliciés de tous les pays, à toutes les époques… Car tel est le sens profond de son œuvre, depuis toujours peuplée de corps pantelants, nus, énervés, crucifiés sous un ciel funèbre. Sans oublier, de toile en toile, les sinistres nuées de corbeaux, les rats ou les chiens féroces, littéralement rendus fous par l’odeur de la chair et du sang. Au point que l’on a souvent cru, dans l’incandescence de son vaste atelier, que Vladimir Veličkoviċ procédait moins à l’encre qu’au scalpel… Un chirurgien en somme, mais inconsolable, et témoignant les armes à la main, pareil au Goya des Désastres de la guerre. On connaît son champ de bataille : Belgrade, où il est né en 1935 d’un père professeur d’université et d’une mère bibliothécaire. Enfance paisible, harmonieuse, cultivée, dont il n’aurait gardé que des souvenirs ¬heureux si les armées d’Hitler, subitement, tragiquement, n’avaient envahi la ville
Il l’a raconté, il l’a peint : des immeubles abattus, des innocents traqués, des hommes et des femmes humiliés, pendus au croc d’un réverbère. Puis l’exode avec les siens, d’abord pour s’acharner à vivre, ensuite pour implorer, si possible, la rédemption du genre humain. « Donner à voir », réclamait Paul Éluard au temps de Guernica, dans l’espoir d’une résistance salvatrice. Vladimir Veličkoviċ l’a pris et continue de le prendre au mot, multipliant des représentations qui tiennent autant du reportage que de l’ex-voto. En définitive, que nous propose-t-il ? Une sorte d’œuvre au noir, ciselée dans la tradition du magnum opus (le Grand Œuvre), donc du jeu des transmutations menant à la pierre philosophale, à la guérison infaillible, à l’immortalité. Dans l’un des plus beaux textes jamais écrits sur le travail de Vladimir Veličkoviċ, Pierre Daix, ancien déporté devenu brûlant critique d’art, laissa tomber cette respectueuse sentence : « La peinture au-delà de la souffrance ». C’était tout comprendre et tout résumer.
Christophe Penot
Éditeur d’art