Raymond Moretti - André Breton

ANDRÉ BRETON

de Raymond Moretti

Donc, en ce mois d’octobre 2024, le surréalisme a 100 ans. Un bel âge, il va sans dire, pour un mouvement artistique qui ne pouvait naître qu’à la sortie de la Première Guerre mondiale, après que l’homme moderne eut l’idée des horreurs dont il était capable. Suivit l’évidence d’un globe ivre et vacillant, ivre de ses peurs, de ses illusions, de ses drogues, de ses fantasmes. Un globe à dompter, peut-être à recréer — à recréer artistiquement, même par des bavards, sinon par des fous. Projet surréaliste ? Pas en 1924, puisque chez les écrivains comme chez les peintres, la liberté retrouvée annonce une créativité sans freins. L’un d’eux, André Breton, 28 ans, ancien brancardier dans les tranchées, qui a déjà expérimenté l’écriture automatique, c’est-à-dire des textes jetés à la diable, sans réflexion, ni retouches ni repentir, André Breton s’autoproclame fondateur du surréalisme, substantif masculin qu’il définit de la sorte : « Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. »
La suite est connue : un engouement planétaire. Ou, pour mieux l’exprimer, un feu d’artifice qu’organiserait les célébrités de l’époque, Breton, bien sûr, mais également Aragon, Artaud, Éluard, Desnos, Salvador Dalí, Max Ernst, Joan Miró, André Masson, Man Ray, Luis Buñuel, Alberto Giacometti. Tous solidaires, tous fâchés, tous méprisants, tous méprisés ! Et, cependant, tous idolâtrés par la jeunesse du monde entier, l’irréductible André Breton faisant figure jusqu’à sa mort, en 1966, de Dieu créateur.
Est-ce pour cette raison que l’un des meilleurs peintres de la deuxième moitié du XXe siècle, Raymond Moretti, a tenté d’en capter le visage ? Le vrai, en la circonstance, est que le génial portraitiste répondait à une commande : la « une » du Magazine littéraire, journal pour lequel il a réalisé, plus de trente années durant, des couvertures devenues mythiques. On ne peut se défendre d’admirer la manière dont il a saisi l’insaisissable André Breton : un personnage parfois vide, en tout cas décalé. Une forme de songe-creux, ici rehaussé par un commentaire manuscrit d’un autre géant de la littérature contemporaine, Philippe Sollers, évoquant une courte rencontre avec Georges Bataille, un jour, dans un café parisien. Mais Bataille n’avait d’yeux que pour une femme, tel André Breton dans L’Amour fou… Bref, un seul tableau, quatre artistes, un sujet.
Surréaliste ? Oui. Comme cette œuvre unique, hautement muséale.

 Christophe Penot