Michel Bez (1951-2018)
Né en 1951 à Toulouse, décédé à Sète le 21 septembre 2018, Michel Bez a longtemps été regardé comme l’un des quarante Peintres officiels de la Marine — il a d’ailleurs présidé cette prestigieuse confrérie de 2002 à 2015. À ce titre, il a participé à de très nombreuses expositions, tant en France qu’à l’étranger. Mais on ne peut taire qu’à partir de 2010, dénonçant l’idée d’une peinture finalement jugée « trop commerciale », cet artiste profondément cultivé s’est appliqué à signer une œuvre à l’exigence nouvelle — des ex-voto, des anges, des Vierges, des saints, des christs parfois écorchés, mais toujours cœur battant. Pour tout dire, des tableaux d’une beauté bouleversante, patiemment exécutés au petit pinceau, comme eût travaillé le chirurgien de l’âme qu’il voulait être.
De plus en plus secret,
de plus en plus remarquable…
Hommage à Michel Bez
On le sait depuis Apelle : la mort d’un grand peintre est un drame, forcément. Dans le cas de Michel Bez, décédé en son domicile de Sète le 21 septembre 2018, s’ajoutera longtemps la sensation lourde et navrante d’une manifeste injustice. C’est peu dire que la maladie l’a pris trop tôt : il avait vu le jour à Toulouse, le 15 mars 1951. Mais, par-delà le simple état civil, s’impose comme une autre évidence l’idée qu’il lui restait beaucoup de tableaux à finir, sans nul doute les meilleurs… Parce que tel il se révélait à l’entame du XXIe siècle : un artiste silencieux, de plus en plus secret, et de plus en plus remarquable, de plus en plus supérieur.
Il l’avait jadis expliqué : il était « né peintre ». Manière pour lui d’indiquer qu’il ne s’était jamais inscrit dans aucune école d’art. Au début de sa vie professionnelle, diplômé en droit, il avait enseigné à la faculté de Toulouse. Puis, suivant sa pente naturelle, ce curieux des hommes, des femmes, des lointains, des ailleurs, s’était évertué à raconter le monde. Des dessins, des toiles, des gravures et même des pierres lithographiques, ressources subtiles dont il apprivoisa très vite les nuances et le grain. Il réalisa également de nombreuses affiches et treize timbres pour La Poste française. Aux yeux du public, il était établi.
Il eut de bonnes années et vendit de jolies œuvres, surtout lorsqu’il rejoignit la troupe enviée des quarante Peintres officiels de la Marine — les fameux POM, qui comptèrent dans leurs rangs Théodore Gudin, Paul Signac, Maxime Maufra, Henri Lebasque, Mathurin Méheut, Henri Barnoin, Marin Marie, Albert Marquet, Albert Decaris. Évidemment, son propre talent ne dépara point ; et dans cette corporation où les caractères sont souvent affirmés, sinon difficiles, il se laissa peu à peu entraîner vers une présidence qu’il ne réclamait pas. Hommage ? Reconnaissance ? Admiration ? Assurément, il y avait de cela.
Michel Bez présida l’académie des Peintres officiels de la Marine de 2002 à 2015. Une charge qu’il a aimée, car elle le jetait fréquemment sur le pont d’un navire, seul face à la mer et à l’immensité du globe. À le voir observer inlassablement le jeu des vagues, leurs formes, leurs couleurs, on aurait pu imaginer que ce peintre-né était aussi un navigateur-né ; la vérité est qu’il était d’abord en tout philosophe. Pareil à bien d’autres, il ne croyait pas en Dieu, mais ne cachait pas qu’il le cherchait, ou du moins cherchait une transcendance, un absolu… Il confiait s’intéresser particulièrement à ce muscle étrange que les médecins appellent le cœur. Aussi commença-t-il, devenu sexagénaire, à signer des tableaux inhabituels et dérangeants, d’une exigence, d’une force et d’une profondeur bouleversantes. « Enfin de l’authentique peinture ! », soufflait-il. Peinture à l’huile, peinture altière, crâne, érudite et figurative, d’où émergent des cœurs, des ex-voto, des anges, des Vierges, des saints, des christs et des corps savamment écorchés, saignant et vibrant comme saigne et vibre l’humanité. S’il n’y avait eu que cette leçon d’anatomie, on aurait songé à Rembrandt. Mais l’inclassable Michel Bez voulait dire l’amour, la peur, l’émotion, le désir et la mort.
C’était vraiment un grand peintre.
Christophe Penot