Exposition Bateaux ivres, bateaux bleus
Du 15 décembre 2018 au 9 mars 2019
Sous le thème très rimbaldien des « bateaux ivres », dix-sept peintres et cinquante-deux œuvres, toiles, pastels, gouaches et aquarelles, sont accrochés au Centre Cristel Éditeur d’Art à Saint-Malo pour dire l’éblouissement qui saisit tout homme lancé vers le large, vers l’ailleurs. Éblouissement aux mille couleurs, rythmé par des artistes des XXe et XXIe siècles qui ont notoirement marqué leur époque. Embarquement avec Alechinsky, Brusse, Nørgård, Moretti, Feyen, Jérôme, Berland, Linfort, Lézin… Tous venus témoigner ensemble du génie des peintres de la mer.
Œuvres exposées
Vers le large,
vers l’ailleurs
On sait comment Rimbaud se baignait : « dans le Poème de la Mer », tout infusé d’astres ! Dans un flot lactescent, dévorant les azurs verts… Sous des vagues démontées, parmi les ressacs et les courants… Il n’avait que dix-sept ans, mais déjà il poussait ce cri : « Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer ! » Chacun aura reconnu les mots du Bateau ivre, fiévreusement recueillis par Verlaine. Des mots intemporels, universels, auxquels Homère aurait pu songer sans doute : ne s’agit-il pas de dire l’éblouissement consubstantiel qui saisit tout homme lancé vers le large, vers l’ailleurs ?
« Bateaux ivres, bateaux bleus ». C’est sous ce titre résolument littéraire que le Centre Cristel Éditeur d’Art organise sa dix-neuvième exposition. Écho rimbaldien, bien sûr… Mais, également, de toile en toile, une invitation au voyage pour suivre des artistes dont on devine qu’ils se sont, eux aussi, frottés au flot lactescent et aux azurs verts. Très vieille histoire, en somme, puisque les premiers bateaux datent du Néolithique, il y a environ huit mille ans ! Homère, que nous évoquions, a justement conté l’interminable navigation du légendaire Ulysse qu’on se rappelle volontairement ligoté contre un mât, dans le but d’échapper aux sirènes. Quand bien le fait serait moins connu, il faut signaler qu’au début du XVIIIe siècle, un futur peintre de marines, Joseph Vernet (père de Carle, grand-père d’Horace), réclama le même privilège. Et tandis que l’équipage entier s’effrayait d’une tempête, lui fixait passionnément l’horizon, enregistrant dans son infaillible mémoire les méandres d’un ciel plombé, la gifle des voiles et du vent, les mouvements du navire, le gémissement des espars, celui des vergues, les courtes trouées de lumière, la forme et la force des vagues, leurs teintes, leur haleine, et jusqu’au long suaire d’écume… Par un étonnant raccourci, parlant de Joseph Vernet, on se croit jeté soudain devant les six pastels de Jean-Michel Linfort accueillant aujourd’hui nos visiteurs. Et quels pastels ! Ou plutôt quelles vagues ! tantôt dressées tantôt rompues, mais plus réelles, plus vibrantes qu’au milieu du vaste océan. Sans attendre le vernissage, des fidèles du Centre d’Art s’y sont arrêtés, surpris, conquis, éblouis — le fameux éblouissement qui saisit ceux que la mer appelle…
Dix-sept peintres, au total, et cinquante-deux dessins, aquarelles, gouaches ou huiles, se partagent pour trois mois nos cimaises. Une sorte d’embarquement immédiat, en compagnie d’artistes qui ont notoirement marqué leur époque. La civilité pourrait être de citer d’abord les grands anciens, Eugène Feyen, jadis applaudi par Van Gogh, et Carlos-Reymond, lancé dans la peinture grâce aux encouragements de Monet. De saluer ensuite Pierre Jérôme et Georges Cheyssial, deux très attachants lauréats du Prix de Rome, ainsi que Jacques Berland, Edouard Goerg, André Planson, Andrée Bordeaux Le Pecq, Maurice Verdier, tous conservés dans différents musées, en France ou ailleurs. Comme Jacky Lézin, exposé pour la première fois au Centre Cristel Éditeur d’Art, ou comme ceux qui y reviennent — les maîtres contemporains : Michel Bez, Mark Brusse, Lars Nørgård et Pierre Alechinsky —, ces peintres, et Lucienne de Meiffren avec eux, nous donnent à voir des ports, des plages, des bateaux, des lointains. Chacun témoigne d’un style, d’une puissance, d’une pensée. Qu’il nous soit seulement permis de classer à part L’homme et la mer, chef-d’œuvre de ce Raymond Moretti que Picasso et Jean Cocteau ont tant admiré. Un ciel taillé dans le jade, le fil tendu de la mer, le grondement sourd des magmas. Et une voile, libre et légère, pour forcer le destin. Rimbaud en aurait pleuré.
Christophe Penot
Éditeur d’art