Exposition Alain Lacoste. Couleurs et nudité
Du 2 avril au 2 juillet 2022
Il paraît que l’histoire dure depuis Adam et Ève. Des hommes et des femmes jetés ensemble sur la terre, théoriquement pour vivre, parler, rire, s’aimer et se multiplier. Mais entre les hommes et les femmes, par-delà les apparences, un vrai dialogue est-il possible ? Éternel sujet philosophique auquel le peintre et sculpteur Alain Lacoste a consacré une partie de son œuvre. Une œuvre colorée, singulière, muséale et puissante.
Œuvres exposées
Entre les hommes et les femmes
C’est donc la vieille histoire des hommes et des femmes… Et la vieille histoire de celles et ceux qui en parlent… Aussi commencerons-nous par présenter l’auteur, un personnage coloré, authentique, mais plus connu des institutions muséales que du très grand public. Son nom ? Alain Lacoste. Un Français, né à Laval en 1935 — et malheureusement décédé le 26 avril 2022, tandis que cette exposition battait son plein. Un artiste, incontestablement, évidemment, capable tantôt d’écrire, tantôt de peindre et de sculpter. Dans l’une des multiples vies qu’il a menées, ses biographes nous précisent qu’il a été enseignant, diplômé en histoire et géographie. Puis qu’il a rejoint, après d’invraisemblables méandres, le Conseil général du département de la Mayenne pour s’absorber dans des chiffres. Il a en outre dirigé L’actualité des Arts plastiques, une revue qu’il chérissait telle une arme. Car Alain Lacoste, durant toute son existence, aura été cela : un soldat, un combattant ! Combattant non pas de l’ombre, dans la tradition des sourdes et rudes résistances. Mais un combattant au grand jour, usant d’un matériel fourbi de ses mains : la force du trait, l’éclat des couleurs…
À chacun ses guerres. La sienne remonte à la nuit des temps : l’éternel conflit entre les hommes et les femmes. Des femmes qu’Alain Lacoste a choisi de représenter presque toujours nues, en des poses vaguement ironiques et fuyantes. Sont-elles vraiment nues ? Parions plutôt qu’elles sont libres… Qu’elles sont indépendantes et farouches… Qu’elles sont fières, rebelles, autoritaires… Femelles ? Oui. Désirables ? Oui. Mais comme le sont naturellement les mantes religieuses. On se rappelle le tribut : des mâles tremblants, conquis, offerts, soumis, vidés, dévorés. Ainsi font les bêtes. Ainsi fait également l’espèce humaine depuis que l’homme est un loup pour l’homme. Et depuis que la femme incarne, sans l’avouer, son bonheur et sa malédiction…
Infortuné Alain Lacoste. Comment ignorer en effet que, derrière le rideau de son œuvre, il a lui-même vécu le destin des voyants et d’Icare : brûlé pour avoir approché trop près la vérité ! Il l’a payé au centuple, passant une année dans un hôpital psychiatrique. « Mon premier rendez-vous avec la dinguerie a été bref mais décisif », expliquerait-il par la suite. De fait, pour ses nombreux admirateurs, Alain Lacoste était devenu officiellement ce qu’il n’avait jamais cessé d’être : un incroyable créateur d’images et de formes. Un touche-à-tout inépuisable, étourdissant, cocasse, fascinant, dont les réalisations, aujourd’hui mises durablement sur le marché, sont désormais accrochées dans neuf musées en France. Sans oublier la reconnaissance internationale puisque l’on peut contempler ses sculptures et tableaux au musée de l’Art brut de Lausanne, au musée Art et Marge de Bruxelles, au musée du Docteur Guislain à Gand.
Le mot est lâché : art brut. Ou, pour se fier à la définition du musée de Laval qui conserve plusieurs dizaines de ses pièces, « art naïf et arts singuliers ». Autrement dit, un art profondément intérieur. Un art primal, à la fois moqueur, mordant, outré, iconoclaste, généreux, absolu, drolatique — au sens strict, vivifiant. On songe du reste à la lettre que lui adressa Jean Dubuffet en 1983 : « Votre art est très personnel, fortement expressif et poétique »… S’il avait eu le temps de mieux le connaître (Jean Dubuffet est mort en mai 1985), sûr qu’il l’aurait tenu pour un maître, pour un pair. Parce que tel nous apparaît Alain Lacoste : un formidable regardeur. Un peintre tendre et inquiet qu’abîme l’incompréhension entre les hommes et les femmes… Un sculpteur qui donne corps à des rêves fantastiques… Un témoin bouleversé, un témoin bouleversant, dont le cri testamentaire déchire l’horizon :
Ce trop long séjour que je fis
En pays de peinturlurie
Avec ma défroque de prêtre sans dieu
Et ma peinture pour ouvrir les yeux.
Christophe Penot
Éditeur d’art