Exposition Émergences. Hervé Bédouin – Jacky Lézin
du 7 mars au 26 septembre 2020 (prolongée tout l’été)
Ils sont deux de ces artistes qui atteignent enfin la lumière. Le premier, Jacky Lézin, disparu en 1995, était membre admiré de la Figuration narrative. Sans doute faut-il le regarder comme le meilleur peintre bretillien de la fin du XXe siècle… Une œuvre spectaculaire, puissante. Elle côtoie les sculptures d’un autre prodige breton, Hervé Bédouin, dont les aigrettes vibrent d’une inimitable force, d’une authentique poésie. Fascinant !
Œuvres exposées
Émergences bretilliennes
Il n’y avait que l’historien Gilles Foucqueron, dans ses livres, à les appeler les « Ille-et-Vilainois ». Tournure simple, qui fleurait le naturel, comme fleurait le « bon sauvage » chez Rousseau. Mais une tournure officieuse que les élus d’Ille-et-Vilaine ont balayée en juin 2013 pour lui préférer le désormais très officiel vocable « Bretilliens, Bretilliennes » — « habitants de l’Ille-et-Vilaine », selon le nouveau dictionnaire… Qu’on se le tienne donc pour dit : à l’heure de fêter son sixième anniversaire, le Centre Cristel Éditeur d’Art, Bretillien de naissance, accueille ce qu’il faut bien nommer un peintre bretillien, Jacky Lézin, associé à un sculpteur lui aussi bretillien, Hervé Bédouin. Démarche géographique, bretonne, consensuelle et logique, pourrait-on croire… Sauf que le choix de cette vingt-quatrième exposition repose avant tout sur une invincible conviction : l’exceptionnelle qualité des deux artistes réunis ! Le premier ranimera certains souvenirs chez quelques Malouins : en 1971, à l’époque où il enseignait le dessin et les arts plastiques à Rennes, Jacky Lézin avait montré différentes œuvres dans l’Intra-Muros pour ce qui devait rester la prime exposition de sa vie. Puis la vie, justement, s’était peu à peu déroulée… Il y avait eu d’autres accrochages, des critiques encourageantes, une commande publique à La Seyne-sur-Mer, le ralliement à la Figuration narrative, mouvement européen et mythique, dont il incarnait un incontestable représentant. En clair, une reconnaissance méritée, écho d’un talent flagrant, hors norme… Jacky Lézin en était précisément là, au seuil du succès qu’il espérait, quand une crise cardiaque le foudroya en 1995. Exactement à la veille de ses cinquante-cinq ans…
Un quart de siècle a passé. Vu par les historiens de l’art, il s’agit souvent d’un gouffre insondable dans lequel disparaissent les peintres décédés. Par quel miracle Jacky Lézin échappa-t-il à l’oubli ? D’abord grâce à l’obstination de Robert Bonaccorsi, remarquable directeur de la Villa Tamaris, qui n’eut de cesse de rassembler, lors d’expositions muséales, les principaux maîtres de son temps. Ensuite grâce au travail mémoriel accompli par les siens, Claudine, Anne et Emmanuelle. C’est d’ailleurs Claudine Lézin-Tannou qui poussa la porte du Centre Cristel Éditeur d’Art, en 2016, afin de nous inviter à poursuivre la lutte, à reprendre le flambeau. Et quel flambeau ! Dire au monde que Jacky Lézin, artiste discret mais éminent, a été le meilleur peintre bretillien de la fin du XXe siècle…
Dirons-nous également, par un saisissant raccourci, qu’Hervé Bédouin, né à Rennes en 1973, est le meilleur sculpteur bretillien du moment ? Ce serait sans doute aller vite en besogne et ce serait taire de beaucoup l’essentiel. Car ne nous apparaît-il pas, devant l’œuvre vivante et vibrante qu’il compose, que ce jeune créateur passionne autant pour ce qu’il vaut que pour ce qu’il veut ? Et ce qu’il veut, nous croyons le comprendre : une terre habitable, habitée, où même la plus infime brindille, ramassée par une main habile, une pensée ardente, sait devenir à son tour œuvre d’art. Ainsi fait Hervé Bédouin, capable d’anoblir toute matière, le bois, le fer et le plâtre, pour ciseler de fascinants échassiers qui, au sens strict, n’ont pas leur pareil. Certes, chacun peut reconnaître, comme surprises au détour d’une héronnière, de splendides aigrettes garzettes, tantôt piquant le sol d’un bec affamé, tantôt prenant leur envol. Mais, encore une fois, témoignons qu’Hervé Bédouin, éblouissant de savoir-faire, et messager d’un authentique dessein écologique, nous enchante en premier lieu par son indicible poésie. Dans l’esprit, bien sûr, où l’entendait le plus illustre de nos Bretilliens, François René de Chateaubriand : « La poésie, c’est le chant intérieur. »
Christophe Penot
Éditeur d’art