
Exposition Raymond Moretti. Le trait du génie
Du 12 avril au 28 juin 2025
Dans le ciel de Paris, une tour porte son nom. Jean Cocteau et bien d’autres l’admiraient sans réserve. Picasso le traitait en égal. De fait, au sens strict, Raymond Moretti était un génie. Incontestablement, l’un des meilleurs portraitistes du XXe siècle, au trait comme un laser. Vingt ans après sa disparition, le Centre Cristel Éditeur d’Art réunit une quarantaine de ses dessins et tableaux. Magistral !
Œuvres de l’exposition Raymond Moretti. Le trait du génie
Raymond Moretti, l’évidence rimbaldienne
Au temps de ses premiers tableaux, il avait eu ce cri : « Donnez-moi le ciel et je le peindrai ! » C’était annoncer le titre d’un bel article que lui consacrerait Paris Match : « Du haut de son mètre soixante-quatre, il peint la démesure. » Car tel apparaissait en effet Raymond Moretti quand on l’observait dans son atelier : un personnage fantastique. Un homme aux pouvoirs décuplés. Un titan irradiant de forces et de créativité. Résumons tout cela de la manière la plus simple : un authentique génie, selon le mot flamboyant employé par ses innombrables laudateurs. N’en citons ici qu’un seul : Pablo Picasso, centaure d’un mètre soixante-trois qui le traitait en égal. On ne compte pas les clichés montrant le vieux peintre et le jeune côte à côte, discutant, échangeant, ergotant sur les choses du métier. Ils s’étaient rencontrés en 1963, sous le soleil méditerranéen qu’ils aimaient instinctivement. À l’époque, la presse parlait beaucoup de la toile géante que Raymond Moretti avait entreprise en compagnie d’un aîné et grand admirateur, un certain Jean Cocteau. Une toile et cent dessins, constituant l’aventure picturale de « L’âge du Verseau ». Picasso, intrigué, avait regardé l’avancée de ce travail à quatre mains, brûlant d’y ajouter les siennes. Mais Cocteau, jaloux de sa propre gloire, s’y refusait. « Il va tout nous gâcher ! » confierait-il à l’écrivain Louis Nucéra, témoin de la scène. Raymond Moretti se mordit les lèvres. Lui aurait préféré que Picasso peignît avec eux…
Moretti avait-il cependant besoin de cet illustre parrainage ? Il est permis d’en douter puisque mille fées, déjà, semblaient s’être penchées sur son berceau. Nous passerons vite sur l’aspect biographique : naissance à Nice, le 25 juillet 1931, au domicile d’une femme de ménage et d’un charpentier qui avaient fui l’Italie fasciste. Enfance heureuse avant d’embrasser, à 13 ans, le labeur d’apprenti boulanger. Et puis, l’évidence rimbaldienne : ce garçon n’était pas comme les autres… Dès qu’il prenait un crayon, il lançait des lignes à la fois nettes et vibrantes. Dès qu’il touchait aux couleurs, il réinventait l’univers. Au sens strict, génie du trait, génie des matières, des ombres, des lumières. Si bien que, en 1947, à 16 ans, cet autodidacte déroba à sa mère un drap de pur coton pour y peindre un Moïse brisant les Tables de la Loi, conservé depuis au Musée de l’université de Jérusalem. « Le nouveau Michel-Ange est un jeune Français », prophétisa alors, en gros caractères, le quotidien Nice-Matin. Étaient publiées en appui la photographie du prodige et la photographie de son œuvre, d’une puissance sidérante. Le début d’un destin et d’une immense renommée.
On n’imagine point, aujourd’hui, les succès recueillis par Raymond Moretti comme on n’imagine point la vie qui a été la sienne. Des commandes spectaculaires. Les applaudissements de trois présidents de la République, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, passés devant son pinceau ou venus inaugurer ses expositions. Des amitiés prestigieuses, des complicités légendaires, à l’instar de celles l’unissant aux meilleurs jazzmen de la terre, Ella Fitzgerald, Count Basie, Louis Armstrong, sans oublier Jacques Brel et Claude Nougaro dont il multiplia les portraits. D’ailleurs, il existe ce fait, incontestable : personne au monde n’a aussi parfaitement traduit que Raymond Moretti la folie envoûtante du jazz ! Personne n’a mieux exprimé la résonance des notes jetées, soufflées, frappées par un orchestre ! De même, personne n’a su mieux susciter, d’une ligne, d’une onde, la beauté.
Vingt ans après sa disparition, en juin 2005, Cristel Éditeur d’Art, son dernier éditeur, lui rend un hommage filial, ému. Des dessins, des peintures. Soit un ensemble exceptionnel d’une cinquantaine d’œuvres créées dans l’or de son indomptable jeunesse.
Christophe PENOT